Cet article fait suite à mon précédent post sur la fonction psychologique du travail. La conviction que la possibilité de débattre dans l’entreprise sur les critères d’un travail bien fait est un des ressorts majeurs de la santé au travail. Et donc par ricochet la garantie d’un nouveau genre d’efficacité professionnelle, plus pérenne et créatif. Comme le dit Yves Clot « faire bien quelque chose est source de joie ». Et par conséquent, être empêché de faire quelque chose est toxique, dans le sens où l’individu au travail ne peut plus se reconnaître dans des objets, des productions, réalisés seul et ensemble. Et alors l’amputation des sentiments professionnels rend malade.

Mon expérience en consultation de psychologue du travail

En deça d’un certain seuil qui est propre à chacun et qui est difficile à déterminer par avance (il se révèle lorsque la plainte de la souffrance au travail est là !), le travail « bien fait » a cessé d’exister.

La question de l’organisation du travail

Immanquablement, j’entends lors de consultations souffrance au travail, que la coopération entre les métiers dans l’entreprise ne joue plus son rôle de « tissu conjonctif » entre les activités à faire. Je trouve que cette analogie avec le corps humain développé par Yves Clot est très parlante.

Tissu conjonctif (définition du Larousse) : « Les tissus conjonctifs servent de soutien aux autres tissus du corps, assurant leur nutrition et participant aux mécanismes de défense immunitaire de l’organisme. Ils sont disséminés à l’intérieur des organes et entre eux ».

Les réorganisations incessantes des entreprises accentuent ce phénomène de destruction, de destructuration de la coopération et ne donnent plus de temps pour sa régénération. Et pourtant, les salariés tentent de maintenir un niveau de qualité du travail dans lequel ils se reconnaissent, contre vents et marées, au prix souvent de leur santé.

Yves Clot définit bien ce vécu d’activité empêchée : « A l’observation, ce qui s’avère fatigant, ce qui exaspère les salariés, ce n’est pas la réalisation de la tâche, mais l’empêchement, l’arrêt de l’action en cours. C’est de façon récurrente de ne pas pouvoir terminer ce qui a été commencé, de devoir atttendre en pensant à ce que l’on pourrait faire, de faire une chose en pensant à une autre, et même de commencer une tâche en sachant très bien qu’on ne pourra pas la mener à bien ».

Le management de la souffrance

Je constate aussi beaucoup la mise en place d’indicateurs qui permettent de détecter les risques psycho-sociaux; la formation des managers pour dépister les signes avant-courreurs chez les salariés en difficulté. En dernier recours, l’appel à des experts de l’écoute et de la prise en charge de la souffrance au travail. Je ne dis pas que tout cela est inutile. Mais j’observe souvent que ce sont des actions qui se font au détriment, voire cache un refus de s’engager dans des débats dans l’entreprise et dans les services sur ce qu’est un travail bien fait ! C’est comme si on déconnectait la notion de bien-être de la notion de bien-faire dans le travail ! Or, le travail c’est avant tout du « faire », « de l’agir », avec et pour les autres.

Quand il y a l’émergence de la souffrance au travail, je reprendrai volontiers à mon compte l’analyse de Philippe Askenazy : « comme si tout se jouait à la croisée des émotions et de la morale, dans le silence d’un face-à-face inégal entre un supérieur et un subordonné, on a laissé s’installer l’idée que l’affaire relevait du médecin, du psychothérapeute, voire du juge ».

Le psychologue du travail doit, pour comprendre et aider les salariés en souffrance, ne pas seulement considérer  l’homme souffrant. Il nous faut le relier à l’homme agissant, ou plus exactement à l’homme qui ne peut plus agir dans son travail.

C’est là mon métier de psychologue clinicien du travail. Je suis à votre disposition pour échanger sur vos questionnements.